
Journée d'études - Formuler. Modèles d'écriture et élaboration du droit
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Le 08 février 2019Campus TertreUFR Droit
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Journée d'études organisée par le département d'histoire du droit et le laboratoire DCS
Vendredi 8 février 2019
FORMULER
Modèles d'écriture et élaboration du droit
Présentation générale
La présente journée consiste à confronter des regards multiples sur un phénomène juridique le plus souvent négligée : l’opération de formulation du droit. Alors que notre activité nous à pousse tourner notre regard vers des lois, traités, principes ou doctrines, nous savons tous que les régimes juridiques étudiés se traduisent en pratique par un certain nombre d’opérations standardisées : des formules toutes faites ou de simples formulaires à remplir. Ce sont là, justement, les « formules » qui sont au point de départ de l’interrogation proposée.Qu’est-ce donc qu’une « formule » ? Il s’agit tout simplement d’un texte ou d’un morceau de texte que l’on se contente de recopier pour être conforme à une norme légale ou conventionnelle d’écriture du droit. La formule remplit à cet égard une fonction pratique : elle simplifie l’écriture du droit et garantit que cette écriture est conforme à certaines prescriptions légales, réglementaires, jurisprudentielles ou simplement conventionnelles. Dit autrement, la formule est avant tout une économie de moyens juridiques : elle permet d’énoncer le droit à moindre coût et à moindre risque.
Pour ces raisons et conformément aux usages anciens, la « formule » désigne ici un modèle d’acte, une partie d’acte ou une simple clause. De leur côté, les « formulaires » seront d’abord entendus comme des recueils de formules, qu’il s’agisse de formulaires de chancellerie, de formulaires d’actes notariés ou de manuels-formulaires. Il ne s’agit pas ici de privilégier un usage ancien mais de souligner qu’un « formulaire », au sens contemporain d’acte « à remplir », ne permet pas de distinguer entre la formule proprement dite et le recueil de formules. Nous ne doutons pas que la terminologie contemporaine nous rattrapera : selon l’acception commune, un formulaire demeure un « texte à trous ». Mais cette précision terminologique importe peu : ce sont moins les formules elles-mêmes qui sont interrogées que les modalités concrètes d’élaboration de ces « modèles ».
Qu’on les perçoive comme de simples outils, des modalités de « mise en œuvre » du droit ou l’aboutissement d’un processus de simplification ou de rationalisation, les « formules » constituent un élément clef de la vie concrète du droit. Elles sont pourtant rarement interrogées pour elles-mêmes. Elles le sont moins encore s’agissant de la façon dont elles ont été construites, élaborées, diffusées, transformées, adaptées. Elles sont pourtant l’expression la plus ordinaire du formalisme juridique : dans la standardisation qu’il exige et dans la souplesse qu’il requiert. Les formules impliquent en effet, le plus souvent, une marge, même minimale, de variation. Celle-ci peut aller des motifs à exposer à la simple signature en passant par les données à renseigner (les « blancs » d’un « formulaire » au sens contemporain du terme). La plupart des actes juridiques contiennent ainsi des parties fixes et des parties variables comme il en va, par exemple, des actes officiels (arrêtés de nomination, simple procès-verbal, voire loi).
Dans tous les cas, la formule donne à voir la teneur juridique de l’acte tout en conservant aux acteurs une certaine marge de manœuvre. Elle simplifie et accélère les opérations juridiques tout en garantissant la sécurité de celles-ci. La formule est un outil, raison pour laquelle, sans doute, elle est généralement abandonnée à la « simple pratique ».
Surtout et pour la journée qui nous réunit, ce sont les modalités d’élaboration et de transformation de ces formules qui sont plus encore négligées. Qui les élabore ? Pourquoi ? Et comment ? En quoi consiste, pour autant qu’on puisse le savoir, cette activité de « mettre en formule » pour ne pas dire « réduire » à une formule ?
Pour tenter de le comprendre et d’en tracer les contours problématiques, nous proposons de multiplier les points de vue sur ces « formules » qui peuplent le monde du droit sans qu’on les interroge. En soi, la question évoquée n’a rien de spécifiquement historique ; elle demeure toujours actuelle (notariat, contrats-types, actes officiels). En revanche, elle se prête tout particulièrement à une approche historique tant la comparaison dans le temps et l’espace peut être à même d’éclairer ces pratiques de mise en formule et leur portée. De ce fait et compte tenu de l’objet, les modalités d’interrogation et de présentation sont dès le départ prévues pour être très souples. Chaque intervenant pourra, selon son envie et le matériau dont il dispose, livrer une réflexion approfondie et aboutie ou se contenter d’une brève évocation d’un problème. À elle seule, la simple présentation d’un type spécifique de « formule » sera une pierre apportée à l’édifice comparatif. Car les formules traversent les époques comme elles prennent place dans tous les champs du droit. Elles se prêtent ainsi à toutes les approches : générales ou spécialisées, diachroniques comme synchroniques.
Programme
1. Formuler principes et traditions
présidence : Rafael Encinas de Munagorri
08h55. – Frédéric F. Martin, Accueil09h00. – Rafael Encinas de Munagorri, Ouverture. Sur la formule « à qui de droit »
09h10. – Ninon Maillard, Former et formuler le droit dominicain : sédimentation et vivification du droit religieux (XIIIe-XVIIIe s.)
09h30. – Olivier Ménard, La Constitution de la lune, rêve politique et moral du Cousin Jacques ou quand épouser la forme ne suffit pas à compenser le genre et la réputation
09h50. – Julie Caddéo, Formuler pour exister. La formule au sein des arrêts de règlement des parlements au XVIIIe siècle : apport essentiel ou simple effet de style ?
10h10. – Xavier Godin, La structure de la décision de justice
10h30. – Discussion
10h50. – PAUSE
2. Formuler l’ordre politique
présidence : Gilles Dumont
11h10. – Gilles Dumont, Ouverture. L’exposé des motifs de la loi : quelle procédure ? quels enjeux ?11h20. – Konan Carle, Du Politique au panégyrique : l’usage de la formule de “chose publique” en droit français du XIVe au XXIe siècle. Mise en perspective.
11h40. – Paul Tallio, Formuler… la continuité de l’État
12h00. – Julien Constantin, Formuler la Constitution : l’écriture constitutionnelle comme formalisation juridique d’un compromis politique
12h20. – Samuel Sanchez, Formuler le droit d’interpellation pendant la IIe République
12h40. – Discussion
13h00. – DÉJEUNER
3. Formuler par actes juridiques
présidence : Raymond Le Guidec
14h00. – Rudy Laher, La formule exécutoire (approche historique et positive)14h20. – Grégoire Bigot, Les recueils de formulaires administratifs à destination de l'administration municipale
14h40. – Thomas Delannoy, Le recours à la formule dans la pratique contemporaine ; essai d’approche anachronique des formules médiévales
15h00. – Pierre-Yannick Legal, Du Jurisclasseur à GenApi. Mutation des modèles, modification rédactionnelle des actes notariés
15h20. – Discussion
15h40. – PAUSE
4. Formuler un en-deçà du droit
présidence : Ninon Maillard
16h00. – Frédéric F. Martin, Aux marges de la formule. Modélisation formulaire et pragmatique du droit à la chancellerie royale (XVe-XVIe s.)16h20. – Dominique Gaurier, Les adages du droit tant latin qu'autres dans les différents droits européens (spécialement français, allemand et anglais)
16h40. – Frantz Mynard, Formulaire - Formules - Poétique du droit. Lectures de Giambattista Vico, Évanghélos Moutsopoulos et A. A. L Bindi
17h00. – Discussion
17h20. – Frédéric F. Martin, Conclusion. Mettre le droit en formules : normativité des pratiques d’écriture et sources du droit
17h30. – Pot de clôture
Programme
Quelques précisions
1. Standard et variabilité.
– Le plus souvent, la formule contient une part standardisée et une part variable destinée à contenir les éléments spécifiques à chaque utilisation qui en est faite. Plus précisément, on pourrait distinguer trois degrés de standardisation au sein de chaque formule :
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Des éléments standardisés qui, répétés dans chaque déclinaison particulière du modèle, ne doivent connaître aucune variation ;
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Des « blancs » plus ou moins stabilisés qui permettront de spécifier chaque déclinaison ;
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Des éléments non standardisés (ou qui ne le sont pas encore), parce qu’ils sont tenus pour insignifiants du point de vue du modèle à décliner.
2. Spécification juridique de la formule.
– En outre, la « formule » n’est pas un objet spécifiquement juridique. On élabore des formules en cuisine (les recettes), en mathématique, pour présenter un procédé technique ou détailler une procédure (ainsi des « notices », « manuels » ou « formules » de montage d’un meuble). Elle n’est, au départ, qu’un procédé pratique permettant de simplifier des opérations. En droit, elle permet aussi de leur offrir un surcroît de sécurité. Parmi les documents juridiques, seule la doctrine semble échapper à la pratique formulaire. Celle-ci se retrouve dans un procès-verbal comme dans la décision d’une cour suprême, pour une circulaire comme pour une constitution. C’est souvent à sa dimension formulaire que l’on reconnaît le caractère juridique du document. Il convient toutefois de distinguer l’élaboration de la formule et le statut de celle-ci. L’élaboration répond en premier lieu à une nécessité pratique ; elle n’emporte par elle-même aucun statut juridique officiel.
3. Racines de la formule.
– La formule n’émerge pas ex nihilo, ne serait-ce qu’en raison du fait que les formules semblent aussi anciennes que le droit lui-même. Elle se nourrit de modèles antérieurs, officiels ou officieux, qui l’ont précédée et qu’elle reprend en tout ou partie. Ceux-ci peuvent être combinés, modifiés et adaptés en fonction des besoins spécifiques de la formule à élaborer. De nos jours, la formule est parfois annexée à la loi ou au règlement qu’elle permet de mettre en œuvre. Elle prolonge dès lors le dispositif légal ou réglementaire en donnant de celui-ci une version adaptée et « formulée ».